mercredi 31 octobre 2007

Taxi Driver

Martin Scorsese reçoit un jour des mains de Brian De Palma le script qui lui ouvrira la voie de la reconnaissance éternelle dans le cinéma contemporain (De Palma n'est pas son meilleur ami pour rien). Ecrit par Paul Schrader, un ancien critique de cinéma à la verve cynique et acerbe, travaillant dans un quotidien indépendant de Los Angeles, "Taxi Driver" n'est rien d'autre que le chef d'oeuvre incontestable du réalisateur. Résolument personnel et profondément tragique et sombre, Martin Scorsese voit ce film comme une autobiographie impersonnelle et se reconnaît immédiatement dans le personnage principal. Ses producteurs, étant en désaccord avec lui car n'ayant pas livrer un seul film étonnant à leur studio ("Who's That Knocking At My Door" et "Bertha Boxcar" font des bides énormes), ne lui permettent pas de critiquer d'un ton aussi glacial la société sans l'once d'une filmographie et d'une direction artistique hors pair. Voila comment né "Means Streets", premier fruit de la collaboration entre Robert De Niro et Martin Scorsese. Les studios sont fous de joie de voir un travail aussi élaboré pour un réalisateur indépendant et décide de lui confier le projet. "Taxi Driver" sera un tournant brutal dans la carrière du cinéaste.
Par le biais d'une mise en scène intemporelle et quasiment hypnotique, le réalisateur se met à la place de Travis Bickle, un chauffeur de taxi tout droit sorti de la guerre du Vietnam. Accentuant la paranoia et la solitude de l'homme par cette caméra qui se déplace autour de lui, tel un témoin invisible de l'enfermement d'un honnête citoyen dans son propre délire compulsif, Martin Scorsese arrive à être les yeux de Robert De Niro, mais également les yeux du spectateur. L'absence de but dans la vie de l'homme renforce cet impression d'isolement. Il ne vit que pour travailler et demande même à faire des heures supplémentaires, travaillant parfois 6 jours par semaine. En conflit permanent avec lui-même, il tente à certaines reprises de reprendre le dessus et pense avoir trouvé l'amour de sa vie en la personne d'une militante politique nommée Betsy. Incapable d'aimer comme tout un chacun, il la perdra et considérera dès lors que l'amour l'a abandonné. Il tentera de relier avec sa famille par l'intermédiaire d'une carte postale, l'écriture semblant être son seul moyen d'expression pouvant porter ses fruits (le fait que la caméra soit constamment présente et que l'on connaisse les moindres détails de son journal intime nous aide énormément à comprendre le personnage). Travailler dans les années 70 en tant que chauffeur de taxi n'est pas chose aisée d'après Travis, imperturbable dans son travail. Il prend tout et n'importe qui dans son taxi, les emmenant n'importe où. Il n'a plus de frontières et est confronté à la frustation d'un monde décadent dans lequel la nuit prend le pas sur le jour, confronté à des personnages tout droit sortis de Sodome et Ghomorre.
Sa rencontre fortuite avec l'un de ses "déchets" de cette société pourrissante, Iris, lui ouvrira les yeux sur son propre destin. Il tentera ainsi de libérer l'un des agneaux perdus de Dieu en sacrifiant sa vie au profit de la liberté d'un être qui lui est cher. Cette fin, qui a été en partie réalisé par Steven Spielberg pour l'accentuation de la violence, sera le point d'orgue du film, come si ce moment était inévitable, et que chacun d'entre nous connaissait l'issue sans même s'en rendre compte.
Perdant l'amour de sa vie et refusant un amour accessible. Tentant de tuer celui qui représente le père de l'une et assassinant froidement celui qui remplace le père de l'autre. Robert De Niro, convaincant et engagé dans son rôle, ira même à l'improvisation, demandant au scénariste lui même si son personnage aurait pu dire cette fameuse réplique: "Are you talking to me ?". Cercueil métallique flottant dans les égouts d'un New York dépravé post-Vietnam, le taxi de Travis représente le seul besoin matériel dans ce monde où chaos et confusion se mèlent au quotidien. La musique, signée Bernard Hermann, est nostalgique et terrifiante, empruntant au jazz de l'poque cette nostaligie tétanisante que seul le saxophone peut faire ressentir. Alliant le génie d'un réalisateur du Nouvel Hollywood et la justesse d'un acteur à la prestance inhabituelle, "Taxi Driver" gagnera, sans aucune prétention au départ, la tant convoitée Palme d'or à Cannes en 1976, ainsi que la faveur des critiques de la presse spécialisée.

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